vendredi 13 mars 2009

Cité de la Musique - Webern, Lieder -Boulez - 16/11/04

Voilà un sujet qui ne devrait ni susciter de polémique ni faire exploser la capacité du forum, mais il n'est pas mal d'aller voir ailleurs de temps en temps. Donc, le 16 de ce mois, Pierre Boulez a donné un concert consacré entièrement à Webern avec l'Ensemble Intercontemporain, avec un vaste choix d'oeuvres de la musique de chambre aux lieder avec orchestre (ce qui est bien avec Webern est qu'on peut programmer le tiers de son oeuve publié en un concert...).
Passons sur la musique orchestrale, magnifique et magnifiquement jouée, pour en venir aux lieder (op. 8, 13 à 18, tous avec plusieurs instruments, en général un petit ensemble). Ils étaient attribués à deux chanteuses, l'Allemande Christiane Oelze [op. 15 à 18] et la Canadienne Valdine Anderson.
Christiane Oelze est une chanteuse assez polyvalente, entre autres une bonne mozartienne. Ici sa voix n'est pas parfaite, par manque d'unité dans le timbre, mais elle donne une interprétation satisfaisante de ces lieder, avec un sens satisfaisant du texte, même si la musique de Webern ne samble pas lui être encore très naturelle.
C'est la même chose pour Valdine Anderson, mais en plus grave encore. Le texte est ici réduit en bouillie, la chanteuse choisissant systématiquement dans les passages difficile la voyelle qui l'arrange au détriment de celle qui est écrite. Impossible donc de comprendre quoi que ce soit, et on a un peu la même impression de se trouver face à un bûcheron en plein effort que quand on voit un ténor un peu poussif essayer de venir à bout d'un opéra de Wagner. Je ne veux pas attaquer cette chanteuse pour elle-même, mais parce que c'est hélas trop typique de ce à quoi on est confronté en musique contemporaine: des chanteurs qui par manque de talent et de voix se confinent à la musique contemporaine en pensant qu'il s'agit certes d'une petite niche mais que la concurrence est nettement plus supportable. Le problème est que quand une chanteuse plante Verdi ou Puccini, on accuse la chanteuse; quand elle plante Webern ou un compositeur vivant, c'est trop souvent le compositeur qui prend. En écoutant la splendeur de l'orchestra, je pensais à ce que donnerait cette musique avec une chanteuse comme Karita Mattila... Dommage que Pierre Boulez soit si peu intéressé par les chanteurs!

N'oubliez pas que Musicasola, le vrai, c'est là !

Bastille - Messiaen, Saint François d'Assise - Nordey, Cambreling - octobre 2004

J'avoue humblement que mon moral n'était pas très haut en me rendant à Bastille hier en milieu (!) d'après-midi. D'abord, bien sûr, à cause de la durée (même si je suis un parsifaliste aguerri); ensuite, parce que mes expériences avec Messiaen sont, disons, variables (positive avec le Quatuor pour la fin du temps, très négative avec la Transfiguration, à côté de laquelle la Chevauchée des Walkyries ressemble à une oeuvre de jeunesse de Mendelssohn); enfin parce que, connaissant mon incapacité viscérale à quitter une représentation quel que soit mon ennui, je savais que je risquais de me forcer à rester coûte que coûte jusqu'à la fin.

Heureusement, l'expérience, finalement, aura été globalement positive. La musique de Messiaen me convainc souvent, notamment -ce qui n'est pas étonnant- dans la scène du lépreux, ou la plupart des scènes de l'ange. D'autres passages m'ont ennuyé, notamment les passages choraux souvent très lourds, et l'utilisation des ondes Martenot est plus une curiosité d'autrefois que quelque chose de vraiment musical. L'écriture vocale de Messiaen, si elle ne dépasse pas vraiment le "complexe de Pelléas" qui pèse sur l'opéra français pendant tout le XXe siècle, est remarquablement respectueuse des cordes vocales, qu'elle ne semble jamais violenter et met souvent bien en valeur. Je reste donc un peu perplexe devant l'ampleur de l'oeuvre et la démesure du projet, même si je suis heureux d'avoir découvert cet univers unique.

Le fait que la représentation ait été d'une qualité rare ne fait évidemment que renforcer le plaisir. Van Dam est inoubliable, mais tout le monde le sait; Schäfer splendide (et elle joue très bien); je n'ai pas de réserves à présenter sur Merritt, et les différents frères vont du pas mal (Polegato) au formidable (Workman que j'étais ravi de revoir, Bracht). Mais le clou du spectacle reste la mise en scène de Nordey, d'une sobriété souvent bouleversante (le lever du rideau au début du IIIe acte!). Les chanteurs jouent bien, un jeu lui aussi d'une grande sobriété; et les décors sont parmi les plus beaux que j'aie vu ces dernières années. Les moments d'ennui qui subsistent, notamment dans le IIIe acte, sont ceux où Messiaen en fait trop. On peut dire que Mortier ne rate pas son début de mandat !

N'oubliez pas que Musicasola, le vrai, c'est là !

TCE - Monteverdi, L'Incoronazione di Poppea - McVicar, Jacobs - 13 octobre 2004

Il est toujours difficile de se faire une idée de l'équilibre entre huées et bravos au sein d'un public, mais à mes oreilles les huées l'ont emporté hier soir lorsque l'équipe de mise en scène est venue sur la scène. Hélas, je ne puis que me trouver d'accord avec ceux qui ont hué M. McVicar et compagnie.

Ca commence mal dès le prologue. Engoncées dans des robes invraisemblables, Patrizia Ciofi (chauve pour l'occasion) et Anne Sofie von Otter, font ce qu'elles peuvent, mais McVicar a voulu, dans ce prologue, faire comprendre que, certes, on parle de personnages antiques, mais qu'au-delà de l'aspect très guindé on va voir ici des personnages de chair et d'os, très vivants. Problème, il ne nous reste ici que l'aspect guindé de ce prologue, alors que la musique comme le texte de ce prologue sont au contraire un modèle d'humour et de fluidité. Ca ne s'arrange pas ensuite, McVicar étant trop peu inspiré pour faire autre chose que remplir, avec des gestes souvent superflus, une illustration trop littérale de l'oeuvre, sans émotion, sans créer de liens entre les personnages. Le décor très chic et très passe-partout n'aide pas à transformer les chanteurs en personnages. Il n'y a donc rien de scandaleux, rien de révoltant dans ce spectacle, mais simplement une panne complète d'inspiration, qui commence à me faire soupçonner que la réussite exceptionnelle d'Agrippina était une exception dans le travail de McVicar.

Musicalement, cela ne va pas beaucoup mieux. Comme beaucoup, j'ai "appris" Monteverdi dans les enregistrements de René Jacobs, et ses enregistrements de Cavalli restent très importants pour moi dans la mesure où ils sont hélas les seuls ou presque. Mais depuis, j'ai un peu changé d'avis grâce à la contestation portée, entre autres, par Ivor Bolton à Munich (et bientôt à Paris) ou William Christie dans son Retour d'Ulysse à Aix et en tournée, qui animent Monteverdi essentiellement grâce au continuo, les "dessus" n'intervenant que là où ils sont prévus explicitement dans les sources*. Ici, Jacobs réécrit les accompagnements nettement moins que dans son enregistrements, ce qui peut sembler une concession aux thèses adverses (on pourrait dire ennemies, tant Jacobs met de vigueur à défendre son point de vue). Malheureusement, j'ai trouvé son continuo peu satisfaisant, peu imaginatif, utilisant trop peu les luths et souvent trop le clavecin. Ce qui lui a été reproché dans son enregistrement - manque de cohérence dans le choix des tempos, absence de rythme d'ensemble au long de l'oeuvre - est encore plus vrai ici, et le choix des chanteurs est nettement moins satisfaisant qu'au disque. Le couple formé par Danielle Borst, vipérine, séductrice et manipulatrice, et Guillemette Laurens, beau timbre et constante ambiguïté entre l'adolescent fougueux et le "monarca del mondo", était inoubliable; ici, Patrizia Ciofi a de fréquents problèmes avec la tessiture (mais aussi de beaux moments), et Anna Caterina Antonacci, avec une voix merveilleuse, est trop peu dirigée (par le metteur en scène comme par le chef) pour réussir à créer un personnage. Les seconds rôles sont eux aussi moins inspirés, rien de comparable au Liberto de Guy de Mey, qui chantait les vocalises de l'air "Mori e mori felice" avec une poésie vraiment céleste. Aux côtés de l'impérial -vraiment- Lawrence Zazzo en Ottone, seule Anne Sofie von Otter parvient, sinon à faire oublier la toujours impériale Jennifer Larmore, du moins à se hisser au même niveau, avec une gestuelle sobre beaucoup plus adaptée que ce que les autres personnages nous infligent, et un sens du mot qui rend enfin justice aux auteurs de ce chef-d'oeuvre.

Bref, il est urgent d'attendre le spectacle de Garnier pour enfin retrouver cet opéra qui est l'un de mes préférés, toutes périodes confondues.
Et si vous n'avez pas de billets pour cette production et voulez aller au spectacle, précipitez-vous donc à la billetterie... du Châtelet!

*Rappelons que les deux manuscrits du Couronnement de Poppée, tous deux postérieurs à la création, ne notent qu'une basse non chiffrée pour l'accompagnement des airs, un peu comme si on accompagnait l'opéra au clavecin en jouant avec un seul doigt; les ritornelli (courts passages orchestraux un peu partout dans la partition) sont seuls (ou presque) à bénéficier d'un accompagnement à plusieurs parties. Si, évidemment, chacun s'accorde à dire qu'il faut "réaliser" le continuo, la question est de savoir s'il faut étoffer l'accompagnement en réalisant un accompagnement à 3, 4 ou 5 parties, ou se contenter du continuo (qui peut être très riche: clavecins, luths, théorbe, guitare, harpe, violoncelles..., pas moins d'une dizaine de musiciens dans les productions munichoises). M. Jacobs dit que ce travail d'"orchestration" est obligatoire, MM. Christie et Bolton pensent le contraire, et moi de même.


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Châtelet - Rameau, Les Paladins - Montalvo, Christie - Mai 2004

José Montalvo est un homme constant : tous ses spectacles se ressemblent scupuleusement, vidéo et gestuelle comprises; on pourrait lui confier La Traviata, Parsifal ou les Noces de Figaro, seule la durée changerait (très accessoirement la musique, mais le but est de faire glousser les beaufs du Châtelet, donc on l'entend parfois fort peu). Le tout n'a strictement aucun rapport avec l'œuvre, le but étant avant tout de meubler pour lutter contre le grand ennemi du public du Châtelet: l'ennui. Après, que ce soit vulgaire et/ou idiot, où est le problème? Si c'était sur TF1, tous ces gens trouveraient ça vulgaire, mais alors dès que c'est de l'opéra, ça devient tout à coup de la haute culture. Le défilé d'animaux est incessant et cache l'absence totale d'intérêt pour les personnages (vous avez remarqué que le public ne rit JAMAIS à propos du texte ou du jeu des chanteurs?). C'est un parfait spectacle estampillé Brossman, bien cadré pour le public qu'il a visé pendant tout son trop long mandat.
D'habitude, c'est moi qui râle contre les gens qui disent "Ah, la mise en scène, quelle catastrophe, mais heureusement les chanteurs étaient super"; mais cette fois, c'est à mon tour, en partie parce que, étant prévenu de longue date que Montalvo allait massacrer le tout, j'étais prêt à me concentrer sur la musique. Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu les Arts Flo dans une telle forme (cors exceptés...) ; si je ne partage pas du tout l'enthousiasme pour M. Lehtipuu (peu audible, timbre laid, diction problématique) et que j'ai aussi peu apprécié René Schirrer (dont le rôle est de toute façon court), les autres étaient tous au moins bons, d'Oustrac avec sa belle voix et une diction beaucoup plus claire que dans La Belle Hélène, Piolino en Manto, et surtout Sandrine Piau, renversante à tous les points de vue (dont une bonne diction!), et plus encore un Naouri des grands jours, qui retrouve le niveau de son exceptionnel Agamemnon. Bref, le disque ne devrait pas décevoir, surtout si les cors des Arts Flo trouvent les notes justes!

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TCE - Mozart, Les Noces de Figaro - Martinoty, Jacobs - 19 juin 2004

Je n'avais pas aimé la production de Martinoty la première fois (pas plus que son Opera seria, alors que j'avais bien aimé l'Argia), et je ne l'ai pas plus aimé la seconde. Je suis d'abord frappé, malgré le classicisme voulu, par la grande laideur visuelle de l'ensemble, avec ces faux tableaux sur tulle qui donnent une coloration marronasse à l'ensemble. Ses idées dramatiques sont soit hors sujet (on casse beaucoup de vaisselle dans cette production), soit contre le sens de la musique et du livret (la comtesse qui joue du clavecin pendant Voi che sapete, alors que même M. Figueiredo, qui de toute façon joue du pianoforte, se tait à ce moment; le coffre de Chérubin, qui rend la scène à peu près incompréhensible, et la liste est longue), soit inabouties (pour le Non più andrai, Jonathan Miller (et d'autres!) avait eu la même idée mais l'avait cent fois mieux réalisée). De toute façon, j'men fiche, j'étais là pour la musique, sachant d'avance que la production était (à mon goût, bien sûr) moche mais pas gênante.

Inutile de dire la beauté de cette musique, il y a peu d'oeuvres aussi belles dans tout le répertoire, et ça suffit à me transporter (au fait, c'était mes 10e Noces, ça se fête !). Bon, à part ça, je ne suis pas fan de l'interprétation de Jacobs, qui renonce trop souvent à la fluidité au profit de l'énergie; par contre Figueiredo ne m'a pas gêné et même souvent convaincu (quand les pianistes se décideront-ils à comprendre que si Mozart écrit qu'ils doivent jouer le continuo dans ses concertos c'est pas pour des prunes?). Pour les chanteurs:

-Je n'ai pas beaucoup aimé Kirchschlager, qui chante certes bien mais n'a pas grand-chose à dire dans ce rôle, ce qui est bizarre vu qu'elle est un fort bon Oktavian;
-Annette Dasch me laisse partagé: il y a une voix, une certaine présence, mais certains moments sont bizarres. Je ne saurais en dire plus, mais je suis entre deux eaux avec elle. Peut-être, la maturité venant, saura-t-elle me convaincre un jour!
-par contre, tous les autres m'ont convaincu: comprimari pas mal et même vraiment bien pour l'inévitable Abete; comte solide et efficace de Spagnoli, vedette maison du TCE; confirmation du talent de Luca Pisaroni, dont on peut attendre beaucoup ces prochaines années; et enfin remarquable Suzanne de Rosemary Joshua, après une non moins remarquable Poppea et une Renarde (Janacek) plus qu'épatante: voix idéale, nuances richissimes, intelligence dramatique considérable...

N'oubliez pas que Musicasola, le vrai, c'est là !